Les yeux rivés sur le ciel - Histoire de la Ligne DEW
Si des bombardiers nucléaires soviétiques entrent dans l’espace aérien de l’Arctique, les DEW Liners penchés sur les écrans radars n’ont que quelques secondes pour réagir. Identifier l’avion. Envoyer une alerte vers le Sud.
La Guerre froide est témoin d’une accélération rapide de la technologie. Les Américains et les Soviétiques se précipitent vers la Lune. Les ordinateurs surpassent les machines de cryptage maladroites. Les missiles intercontinentaux remplacent les bombardiers. Finalement, les satellites vont permettre des communications à longue distance. Le dernier cri d’un jour devient obsolète le lendemain.
Les DEW Liners utilisent deux systèmes différents : le radar et la diffusion troposphérique. Radar pour détecter, tropo pour rapporter. Les radars à rotation rapide sont protégés par un dôme géodésique emblématique. Les énormes tours d’antennes troposphériques servaient (et servent toujours) de repères d’orientation pour les Inuits qui parcourent la toundra en grande partie sans relief, près de FOX-MAIN.
Pendant quelques années, le Réseau DEW est à l’avant-garde de la surveillance de l’Arctique en Amérique du Nord.
Une vigilance constante
Les techniciennes et techniciens radar — radiciens — scrutent le ciel à la recherche de bombardiers nucléaires soviétiques qui traversent le pôle Nord et se dirigent vers des cibles canadiennes et américaines : des bases militaires, des usines, des villes entières, des millions de personnes.
Deux radiciens manœuvrent la console radar dans une station du Réseau DEW. Manning the Dew Line, New York: International Telephone et Telegraph Corporation, 1960.Le travail pouvait être à la fois stressant et ennuyeux. Il consistait à passer des heures devant un écran rotatif, à noter chaque écho. Tous les avions commerciaux devaient soumettre un plan de vol, qui était ensuite transmis aux stations de la Ligne DEW. Les avions militaires canadiens et américains utilisaient des signaux et des canaux spécifiques pour vérifier leur position. L’apparition soudaine d’un objet volant inconnu et mobile provoquait immédiatement l’alerte dans la salle des consoles. Le NORAD devait être informé.
Le chevauchement des zones de detection
Le réseau DEW comprend 61 stations, chacune ayant des zones de détection qui se chevauchent. Si une station détecte un blip suspect, elle peut vérifier auprès d’autres opérateurs qui surveillent la même zone.
Les avions espions
Les Américains et les Soviétiques utilisent tous deux des avions espions dans l’espace aérien de l’Arctique. La détection d’une attaque nucléaire intentionnelle est l’objectif principal du Réseau DEW, mais détecter les activités des avions espions est aussi important.
Surveiller
Les écrans radars sont présents dans d’innombrables films. Le « faisceau » tourne en rond, détectant les avions « entrants » ou les volées d’oiseaux. Déterminer l’identité, la vitesse, l’altitude et la trajectoire de l’avion constitue l’ensemble du travail du radicien.
Vérification de la trajectoire
Le « test de trajectoire » est ce qui permet de s’assurer que les antennes sont correctement ajustées. Bien que protégées par le dôme, les antennes sont parfois perturbées par des vents violents.
Un cendrier
Au cours des années 1950 et 1960, l’usage du tabac est courant et non réglementé. La plupart des DEW Liners fument, car leur travail implique une pression élevée et beaucoup de temps libre. Pour les autres qui ne fument pas, les conditions de travail et de vie dans des espaces clos et enfumés peuvent être désagréables.
L’entretien
Les radiciens travaillent en paires. Pendant qu’un surveille les écrans de radars, l’autre effectue un entretien détaillé, méthodique, préventif et correctif de l’équipement.
Le casque d’écoute-microphone
Pour établir une liaison, que ce soit avec un avion, une autre station ou des contacts au Sud, les radiciens ont recours à un casque d’écoute équipé d’un microphone relié au réseau radio.
Radar + dôme = radôme
Depuis le radôme, des ondes radio sont projetées en l’air pour détecter les avions ennemis potentiels qui entrent dans l’espace aérien nord-américain.
Le radôme de FOX-MAIN. Photo avec l’aimable autorisation de Brian Jeffrey.Bien que ce n’était pas une nouvelle technologie — le radar est utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale, utiliser les ondes radio électromagnétiques pour détecter les objets aériens permet aux DEW Liners de surveiller de vastes étendues de terre et de mer. En se connectant aux stations voisines du Réseau DEW, les radiciens peuvent déterminer la position et la vitesse des objets entrants.
Utiliser un radar dans les conditions météo de l’Arctique est un défi. Les antennes radar rotatives doivent être recouvertes d’une structure légère à la fois perméable et assez solide pour résister aux vents violents, aux basses températures qui font claquer le métal, à la poudrerie et à l'accumulation de glace. Le dôme géodésique est la solution parfaite.
Le radar
Lorsque l’antenne radar tourne, elle émet une courte rafale d’ondes radio. Ces impulsions se déplacent à la vitesse de la lumière. L’impulsion rebondit sur un objet, comme un avion. Selon le temps que l’impulsion met à revenir, le radicien sait à quelle distance se trouve l’objet.
La construction du radôme
Les dômes géodésiques sont faciles à transporter et à construire. La structure répartit le poids sur la base, ce qui rend le dôme très solide.
L’igloo
Les Inuits ont toujours su qu’un dôme de blocs de neige perméable — un igloo — était un type de bâtiment solide et polyvalent parfaitement adapté aux conditions arctiques.
Les dômes géodésiques : le pavillon des États-Unis à Expo 67
Popularisé par l’architecte américain Buckminster Fuller dans les années 1950, le dôme géodésique est devenu une icône de « l’ère spatiale ». Le dôme de Fuller est un élément clé d’Expo 67, à Montréal, et existe encore aujourd’hui.
Les innovations de la Guerre froide : la diffusion troposphérique
Les stations du Réseau DEW utilisent la technologie de diffusion troposphérique pour communiquer sur de vastes distances dans l’Arctique.
Une antenne à diffusion troposphérique (à droite) et une tour Doppler (à gauche), à FOX-MAIN. Photo avec l’aimable autorisation de Brian Jeffrey.La diffusion troposphérique
Avant les communications par satellite, la diffusion troposphérique (tropodiffusion) est une méthode de communication sans fil au-delà de l’horizon. Les signaux radio microondes sont envoyés très haut dans l’atmosphère, rebondissent sur la troposphère, puis redescendent vers la station réceptrice. C’est à cela que servent les grandes paraboles autour de FOX-MAIN.
Les antennes comme repères
Les Inuits se dirigent dans leurs territoires arctiques depuis des milliers d’années à l’aide de points de repère à la fois subtils et remarquables, comme des montagnes, des lacs et d’autres reliefs. Ils érigent des inukshuks pour aider à la navigation. Les antennes troposphériques, en particulier dans les terres sans relief autour de FOX-MAIN, continuent d’être un excellent repère d’orientation pour tout le monde.
Pour les gouvernements du Sud, établir et maintenir une présence dans l’Arctique est un objectif permanent, souvent poursuivi au détriment de la vie traditionnelle inuite.
Le cœur des activités
Les DEW Liners scrutent le ciel à la recherche de signes d’une attaque soviétique, chaque minute de chaque jour, pendant des années.
Le travail est constant. Un signal manqué sur les radars, un bombardier pris pour une volée d’oies : même une petite erreur peut coûter des vies. La menace d’anéantissement nucléaire est réelle. Les pays soviétiques et de l’OTAN frôlent la guerre ouverte à plusieurs reprises pendant la Guerre froide.
La main-d’œuvre, formée de radiciens et de spécialistes de communications et de cryptage, travaille en rotation et occupe les consoles et les téléscripteurs du Réseau DEW. Leurs postes de travail, logés dans des modules connectés (l’enfilade de bâtiments ou « train ») fonctionnent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Le radar recueille des données brutes. En quelques secondes, les radiciens analysent les données. Les communications vérifient auprès des autres stations du Réseau DEW avant que la crypto envoie les données au quartier général militaire dans le Sud.

